Le Train Jaune – Pyrénées Orientales
Février, la neige recouvre les massifs et vallées de cette région, le pic du Canigou, l’emblématique Mont de 2784,66m des Pyrénées Orientales, exhibe fièrement sa toison blanche d’union avec l’hiver. Il aime dominer le Conflent et la bien nommée à l’UNESCO, fortifiée par Vauban, Villefranche de Conflent: point de départ du Train Jaune. Depuis mon arrivé dans ce pays Catalan, j’avais toujours eu en tête de réaliser ce trajet sur voie métrique, de 63 km parcourant les Pyrénées Catalanes et plus précisément la Cerdagne ou la Cerdanya. Cette » haute plaine montagnarde » riche par son patrimoine naturel. Les randonneurs profiteront des nombreux sentiers dans le parc naturel régional, avec entre autre le lac des Bouillouses ou « le sacré » Puig Carlit comme références. Les voyageurs, les touristes quant à eux pourront s’étonner de l’enclave espagnole Llivia…
J’attendais donc le moment propice pour assassiner les longs mois d’attente. Je voulais trouver une lumière, un ton, une ambiance. Il me semble qu’en ce doux dimanche matin tous les éléments se soient alignés pour m’assoir sur l’un de ses sièges.
Mais devrai-je commencer par te partager mes photographies sur les paysages traversés? Ou devrai-je plutôt faire chanter les mots pour décrire l’ambiance régnant à l’intérieur des wagons? Ou devrai-je te…Et…j’ai encore perdu le fil de ma lecture! Tant les paysages traversés depuis ces compartiments sont…Bref non je vais plutôt me replonger dans la lecture de Martin Eden, le bourlingueur-bagarreur! Le chef d’œuvre de Jack London où la frontière entre son personnage et lui même est aussi fine que le papier entre les pages 43 & 44, suspendues dans le temps par le mouvement de mon pouce.
Avant, je ne savais pas que la beauté avait un sens. Je l’acceptais comme telle, comme une réalité sans rime ni raison. J’étais dans l’ignorance. A présent, je sais, ou plus exactement, je commence à savoir. Cette herbe me paraît beaucoup plus belle maintenant que je sais pourquoi elle est herbe, par quelle alchimie du soleil, de la pluie et de la terre elle est devenue ce qu’elle est. (Jack London) Et aujourd’hui ce sont les cristaux de glace qui se sont donné rendez vous pour former un infini blanc que je ré apprends à contempler.
La température extérieure est négative, seule la petite soufflerie installée en dessous du siège permet une chaleur diffuse et agréable dans la chenille jaune métallique, un trésor du patrimoine ferroviaire d’un autre temps, l’un des premiers trains électriques de France. Je m’installe au fond du wagon avec mon livre précieux comme seul compagnon de voyage, mon appareil photo toujours à porter de main. Place, que j’ai choisi minutieusement dans le dernier compartiment.

Si je devais faire un excès d’onirisme; je m’émerveillerai encore en écrivant ces lignes, des fauteuils tout de cuir marron aux nuances bordeaux, accordés aux rideaux des fenêtres jaunis par le temps. Leurs tissus à la couleur orangée-moutarde faisant suinter les nombreux souvenirs des milliers de passagers passés depuis 1910. Hommes, femmes, enfants qui ont emprunté cette voie ferrée, à l’écartement des rails spécifique de 1000mm. L’ambiance est résolument authentique, un voyage dans l’espace temps aux tonalités vintages. Je peux encore sentir l’odeur de tabac froid et la fumée s’accumulait dans les wagons. L’oreille attentive aux murmures des voyageurs et discussions éphémères qui devaient animaient l’époque. Parlaient-ils des centaines d’ouvrages d’art construits notamment pour relayer Villefranche et Mont Louis? ou du projet à venir vers Latour de Carol qui se finira qu’en 1927? Sûrement.

Toujours assis, j’imagine les chapeaux hauts de forme pour certains, les bérets pour d’autres, la redingote et la canne que pouvaient porter fièrement ces Messieurs, les vogues de ces Dames aux teints pâles et à l’expression figée, tenues subtilement mais tentant de s’échapper de leurs mains à chaque virages et crissements du train. Je peux même apercevoir un chien de race type Berger échangeant quelques amabilités avec un Lévrier Greyhound. Puis mon regard s’arrête, songeur, sur cet individu venu probablement du futur d’une terra incognita, aux origines du nouveau monde. Portant un regard froid, fier et franc, caractéristique des peuples de l’amazone que les études de National Geographic relatent. Ces longs cheveux bouclés noirs tombent sur ses épaules, se les attachant en chignon pour une meilleure présentation sur le vieux continent. Il sort de son baluchon en fibre végétale une machine apparentée au Folding de Kodak. Je l’observe ouvrir d’un geste déterminé la fenêtre pour regarder cet horizon immaculé, il échange timidement un sourire avec cette femme aux traits caucasiens, qui en a fait de même pour mieux profiter de la vue, puis je le vois actionner son étrange boite noire.

Je reprends mes esprits mais toujours soumis au lyrisme de ce fascinant voyage, je traverse de remarquables paysages aux forêts de sapins enneigées qui parsèment les flancs des montagnes environnantes. Tantôt collé à la fenêtre, tantôt je sors sur le compartiment donnant sur l’extérieur, la vallée de la Têt et le plateau Cerdan défilent devant moi, durant 3 heures, à une vitesse de 30km/h maximale sur un dénivelé de 1200m. 21 gares seront desservies au total, dont celle de Bolquère à 1593m, obtenant le record d’altitude du pays pour une gare SNCF. Je passe également dans 19 Tunnels et sur deux formidables ouvrages architecturaux; le Viaduc Séjourné et le Pont Gisclard, ce dernier, suspendu à 80m du précipice sur une longueur de 253m! Qui fait de ce pont l’un des derniers, voire le dernier encore en service dans le domaine ferroviaire en France.
Nul besoin de souligner qu’avec cette prouesse technique du siècle dernier, il a obtenu titre de monument historique.

Enfin, je terminerai le récit de ce périple sur cette voie ferrée si fascinante, historique, j’ajouterai authentique voire épique. Par la présentation purement technique de son fonctionnement pour les plus passionnés. Le train pour gravir dénivelé et se jouer du relief fonctionne grâce à un système de traction électrique! Pour cela il a fallu faire preuve d’audace et assurer l’acheminement de cette énergie située dans la vallée de la Têt, à l’aide d’un « troisième rail » latéral à la voie de roulement. D’une alimentation de 850 volt, il a donc fallu monter un système complexe hydroélectrique, s’appuyant sur un ouvrage spécifique construit spécialement pour l’ouverture de la ligne, le barrage des Bouillouses! D’ailleurs j’ai pu remarquer d’imposants tuyaux depuis les compartiments acheminant l’eau jusqu’aux différents sites de productions.
Par ce fait, le petit canari ou le tren groc surnommé ainsi affectueusement! Par son fonctionnement et sa ligne de chemin fer atypique a obtenu un statut de train à énergie verte

Série photographie complète:
http://hanslucas.com/rodrigo/photo/18421
Rodrigo